9 août 2020

Tribune

Réclamons justice pour Tran To Nga et les victimes de l’agent orange

Lundi 10 août 2020 a lieu la journée officielle des victimes de l’agent orange, moment de mobilisation et de mémoire pour l’ensemble des victimes au Vietnam. Cette date fait référence au 1er épandage d’agent orange, un puissant défoliant déversé sur la jungle vietnamienne par l’armée américaine à partir du 10 août 1961. 

Avec près de 80 millions de litres d’herbicides déversés et plus de 2 500 000 hectares contaminés, ces épandages ont détruit 20 % des forêts du Sud du Vietnam et pollué 400 000 hectares de terres agricoles. S’y ajoutent la destruction de plus d’un million d’hectares de forêt tropicale et la disparition d’une faune abondante : des éléphants, des tigres, des rhinocéros (parmi lesquels le rare rhinocéros de Java), des antilopes, des gaurs, des oiseaux, des serpents, des papillons et une multitude d’insectes. La défoliation des grands arbres a bouleversé ces écosystèmes complexes, leur fin entraînant par contrecoup celle du reste de la végétation et la mort ou la fuite des animaux vers le Laos voisin. De nombreuses espèces forestières rares ont également disparu, dont les variétés d’arbres pseudocarpus macrocarpus, sindora siamensis, et hopea odorata. À la place, des bambous et des herbes hautes, surnommées « les herbes américaines » ont envahi les sols appauvris

Aujourd’hui encore, les effets de l’agent orange se répercutent sur l’environnement et la population vietnamienne dans l’iniquité la plus totale. Les voix des Vietnamien·ne·s, muselées par l’absence de moyens juridiques, ne sont en effet entendues. C’est pourquoi, le combat de Tran To Nga, franco-vietnamienne, journaliste pendant la Guerre du Vietnam – et en contact direct avec le défoliant pendant le conflit – est un symbole puissant. Par sa double nationalité et son statut de victime de l’agent orange, Tran To Nga réunit les deux conditions nécessaires pour porter plainte contre les sociétés américaines qui ont livré ces produits phytosanitaires. 

Pour soutenir son combat, et l’ensemble des victimes vietnamiennes, nous vous invitons à participer à notre événement les dimanche 9 et lundi 10 août. Journées au cours desquelles se succéderont des concerts, de la danse, des projections de films et plusieurs tables-rondes. 

La dioxine : puissant poison pour l’être humain 

L’agent orange, en plus d’avoir détruit une partie de la jungle vietnamienne, s’est avéré très toxique pour l’être humain. Son dérivé de fabrication, la dioxine, est tératogène – du grec ancien teras, teratos « monstre » – et lipophile : elle s’accumule dans les graisses et engendre de graves malformations chez les nouveaux-nés. Cette molécule affecte l’organisme de multiples façons : tant par des affections cutanées, digestives, nerveuses, et cardiovasculaires, que par des cancers ou du diabète. Les experts de l’OMS (1) ont établi une dose mensuelle tolérable provisoire (DMTP) de 70 picogrammes/kg par mois. Au Vietnam, plus de 300 kg ont été déversés. Jusqu’à 4,8 millions de personnes ont été directement exposées au défoliant et plus de 3 millions en subissent encore les conséquences, selon l’Association vietnamienne des victimes de l’agent orange/dioxine (VAVA). Des centaines de milliers d’enfants, des 3e et 4e générations d’après-guerre, vivent avec ces malformations (absence de membre, cécité, surdité, tumeur externe…), sans parler des fausses couches, des morts-nés et des naissances prématurées qui s’accentuent dans les régions les plus touchées. Des lignées familiales continuent donc de s’éteindre au fur et à mesure que la dioxine s’accumule dans les organismes. 

Pourtant, les fabricants de l’agent orange (principalement Bayer-Monsanto et Dow Chemical) connaissaient la dangerosité de leur produit sur la santé humaine. C’est en voulant produire plus, plus vite et à moindre coût, qu’ils ont rendu l’agent orange vingt fois plus toxique (2). 

Une injustice passée sous silence 

Depuis 45 ans, ni le gouvernement américain, ni les fabricants de l’agent orange n’ont accepté de reconnaître leur responsabilité vis-à-vis des victimes vietnamiennes. Alors que le gouvernement américain a indemnisé ses vétérans en s’appuyant sur une liste de maladies que les scientifiques estiment liées à l’exposition à l’agent orange, aucune reconnaissance d’ordre juridique n’a abouti pour les Vietnamien·ne·s. En février 2009, la Cour suprême des États-Unis a débouté les victimes vietnamiennes de leur plainte contre les 37 entreprises ayant fabriqué le défoliant sous la pression du département de la justice américaine, intervenu alors avec un amicus curiae (une lettre à la cour) (3). En 1984, les anciens combattants américains, qui souffraient pourtant des mêmes maux, ont reçu une indemnité de 180 millions de dollars. Depuis ce jour, Bayer-Monsanto n’a cessé d’acheter le silence des victimes. En juin 2020, l’entreprise a annoncé le versement de 10 milliards de dollars aux 100 000 victimes américaines du glyphosate – produit phytosanitaire le plus vendu dans le monde – pour mettre fin aux milliers de plaintes que reçoit la firme. 10 milliards de dollars, soit « ⅙ de leur chiffre d’affaire », d’après la journaliste d’investigation Marie-Monique Robin. Une somme conséquente, donc, précieuse pour les nombreux plaignants, mais qui annihile toute poursuite future de la firme.

Un exemple de rapport de domination

Acheter le silence des victimes vietnamiennes ne s’est pas avéré nécessaire. Au Vietnam, le drame de l’agent orange reste un sujet très sensible en raison des relations diplomatiques et économiques avec les États-Unis. L’embargo économique américain ne s’est levé qu’en février 1994, suivi par un essor des échanges économiques entre les deux pays. Cette même année, 173 millions de dollars de marchandises sont exportées vers le Vietnam. Depuis, les États-Unis sont classés au 7e rang des investisseurs du pays. Ce mutisme est donc sans conteste lié à l’impérialisme économique et culturel américain, toujours à l’œuvre aujourd’hui. À l’heure où les questions de racisme environnemental sont de plus en plus soulevées : l’injustice subie par le peuple vietnamien n’a jamais paru aussi insupportable. 

C’est donc loin des yeux du monde que le plus grand écocide de l’Histoire – et ses conséquences toujours tangibles sur les populations et la biodiversité – s’évapore de la mémoire à mesure que les années passent. Si la guerre d’Indochine et celle contre les États-Unis sont pourtant étudiées, très peu de manuels y décrivent les enjeux sanitaires et écologiques actuels. Résultat : aujourd’hui, la majorité des Français·e·s (y compris d’origine vietnamienne) ignorent que plus de trois millions de Vietnamien·ne·s souffrent toujours des conséquences de la Guerre du Vietnam. L’agent orange est une véritable « bombe à retardement », comme le souligne le titre du documentaire Agent orange, une bombe à retardement, réalisé par Thuy Tien Ho. 

Lutter contre l’amnésie collective

Or, les besoins sont nombreux : création de centres spécialisés, réinsertion professionnelle adaptée, aide à domicile pour les familles (à charge parfois de plusieurs enfants handicapés), aides financières… Tout cela est nécessaire pour alléger le quotidien des communautés touchées. 

Une prise de conscience globale doit supplanter le cynisme et le déni institutionnel et organisé des entreprises agrochimiques vis-à-vis des effets de la dioxine sur la santé humaine. Au Vietnam et dans le monde, nos efforts doivent se poursuivre pour raviver la mémoire collective, développer les savoirs scientifiques et obtenir enfin une reconnaissance juridique. Il est aussi primordial de pouvoir construire des « ponts » entre les différentes luttes environnementales, sociales et antiracistes, qu’elles soient locales ou globales. Il faut remettre en cause le « mode d’habiter » dominant pour construire une société plus juste, sociale et solidaire, afin que ces atrocités ne se reproduisent plus. 

Nous appelons à soutenir le procès de Tran To Nga et le combat de l’ensemble des victimes vietnamiennes. 

Nous vous invitons à signer et diffuser la pétition pour lever le voile d’ignorance qui surplombe encore les victimes de l’agent orange, que ce soit en France ou à l’étranger, et à participer à notre événement les dimanche 9 et lundi 10 août. 

  1. En 2001, le Comité mixte FAO/OMS d’experts des additifs alimentaires (JECFA) a procédé à une évaluation actualisée complète du risque pour les PCDD, les PCDF et les PCB « de type dioxine ». 
  2. « Un document interne déclassé de la firme Dow Chemicals, datant du 22 février 1965, relate une réunion secrète des principaux fournisseurs de l’agent orange » dont Monsanto pour « discuter des problèmes toxicologiques causés par la présence de certaines impuretés hautement toxiques » dans les échantillons de 2,4,5-T fournis à l’armée. » (ROBIN Marie-Monique, Le monde selon Monsanto, Ed. La Découverte/Arte, 2008, p. 60.)
  3. Le 22 février 2008, l’amicus curiae a assommé l’indépendance de la justice des États-Unis d’Amérique et renvoyé les victimes vietnamiennes de l’Agent Orange à leur malheur.

Par Léa Dang et Kim Vo Dinh, respectivement porte-parole et coordinateur du collectif Vietnam-Dioxine

Signataires

Saphia Aït Ouarabi, vice-présidente de SOS Racisme

Doria Arditti

Marine Bachelot- Nguyen, autrice et metteuse en scène
Jérémy BCN, activiste écologie décoloniale

Farid Bennaï, militant FUIQP

Joohee Bourgain, enseignante et militante antiraciste

Youcef Brakni, militant antiraciste
Pascal Branchu, président de l’association La Nature en Ville, coordinateur du comité de soutien à l’action de Daniel Cueff et du GNSA Pays de Rennes

Nolwenn Brossier, militante

Valérie Cabanes, juriste Internationaliste, autrice d’Un nouveau Droit pour la Terre, pour en finir avec l’écocide

Marine Calmet, juriste et présidente de Wild Legal France

Siyu Cao, autrice de bande dessinée

Bénédicte Carrio, militante écologiste et féministe (@mellebene sur Instagram)

Camille Chao, animatrice

Anthony Cheylan, rédacteur en chef

Coline Clavaud-Mégevand, journaliste

David Cormand, député européen EELV

Daniel Cueff, maire de Langouët

Francis Cutter, réalisateur

Anas Daif, étudiant et journaliste

Linh-Lan Dao, journaliste à France Info

Décolonisons-nous, @DecolonisonsNous sur Instagram

Douce Dibondo, journaliste

Malcom Ferdinand, chercheur au CNRS, auteur de l’ouvrage Une écologie décoloniale

Manon Ficuciello, artiste et autrice
Joao Gabriel, blogueur panafricaniste et étudiant en histoire

Vaiana Gauthier, réalisatrice

Fidji Gerbaz

Gérard Halie, ancien co-secrétaire national du Mouvement de la paix

Julie Hamaïde, fondatrice et rédactrice en chef du magazine Koï

Mai Hua, blogueuse

Le Studio Jaune, groupe asioféministe

Alexandre Kato, artiste plasticien
Delphine Lewandowski, Doctorante en architecture

Murielle , artiste

Guillaume Lorin, réalisateur

Lou, du compte @la.charge.raciale sur Instagram

Chloé Luu, étudiante en sociologie

Grace Ly, autrice, réalisatrice, co-créatrice du podcast Kiffe ta race

Stéphane Ly Cuong, auteur, metteur en scène et réalisateur 

Amel M’harzi, étudiante

Sarah M’moud, assistante de galerie

Nathalie Muchamad, artiste-plasticienne

Jessica Mwiza, VP Ibuka France

Tom Nico, ingénieur énergie-climat et militant

Fabrice Nicolino, journaliste, président de Nous voulons des coquelicots

Mike Nguyen, acteur

Tay Nguyen, artiste

Henriette Nguyen Hue, fondatrice d’Enseignants sans frontières

Sophia Olmos, étudiante et militante Greenpeace Paris 

Akim Omiri, humoriste

Jessica Oublié, autrice de bande dessinée 

Jennifer Padjemi, journaliste et créatrice du podcast Miroir Miroir

Mathilde Panot, vice-présidente du groupe parlementaire La France Insoumise

Magali Payen, fondatrice de « On Est Prêt »

Dinh-Long Pham, entrepreneur social 

Jean-Baptiste Phou, metteur en scène et comédien

Kelsi Phung, réalisateur·ice et illustrateur·ice

Anthony Phuong, directeur de la galerie A2Z

L’Arbre qui Pousse, artiste
Julie Potier, directrice de Bio Consom’acteurs

Prisca Ratovonasy, podcasteuse

Louis Raymond, journaliste

Elsa Romeo-Cervetti, ambassadrice Communiti des Corses d’Asie

Maxime de Rostolan, entrepreneur écologiste et militant

Théo Roumier, syndicaliste et militant libertaire

Gilles Sabatier, militant

Jena Selle, artiste et militante LGBTQIAP+

Seumboy, créateur de la chaîne @histoires.crepues 

Sophie, du compte @Asiatitude sur Twitter

Alexia Soyeux, créatrice du podcast Présages

Linh Tham, artiste

Sun-Lay Tan, journaliste

Moara Terena, chargé de production

Louise Thurin, créatrice du compte Louise.paris2020 sur instagram

Marie Toussaint, co-fondatrice de Notre Affaire à Tous, députée européenne EELV
Daniel Tran, acteur associatif, conseiller d’arrondissement

Steve Tran, acteur

Trấn Thành Guillaume, syndicaliste étudiant à l’Université Paris Nanterre

Twoinou, militant écologiste et rédacteur sur Perspectives Printanières

Jean Victor Vireah, militant antiraciste

Simeng Wang, chargée de recherche au CNRS

Valentine Zhang, réalisatrice

Organisations signataires

Association d’Amitié Franco-Vietnamienne

ADALY

Alteritees

Association Républicaine des Anciens Combattants 

Avenir Climatique
Association La Nature en Ville
Association des Jeunes Chinois de France

Collectif Stop Monsanto-Bayer et l’agrochimie

Combat Monsanto

Comité de soutien à Tran To Nga

Décolonisons l’animation

FAAOD

Générations Futures

Idle No More France

Il est encore temps

Les amis de la Terre

Le studio jaune

Melting Po SGEL

Mouvement de la paix

MNLE

MRAP

Nous Voulons des Coquelicots 

Notre Affaire à Tous
Orange DiHoxyn 

Sông Viêt
SOS Racisme
Stop Monsanto Marseille

Union des Etudiants Vietnamiens de France (UEVF)

Union Générale des Vietnamiens de France (UGVF)

Union des Jeunes Vietnamiens de France (UJVF)

Village de l’amitié Van Canh

Vietnam Enfant de la Dioxine 

Youth For Climate Paris

La liste mise à jour des signataires sera disponible sur le site du collectif Vietnam-Dioxine